L'arnaque au téléchargement - Chapitre 5

Dans cette dernière partie, on va s’intéresser au montage juridique et financier mis en place par Douglas Barber et expliquer pourquoi il est inattaquable.

Le montage juridico-financier

Vous aurez noté que l’entreprise est en responsabilité limitée, formule la plus souple pour créer une entreprise au Royaume-Uni, d’après ce que j’ai compris. On savait que le Royaume-Uni était une terre d’accueil pour les entrepreneurs français. Ce que l’on sait un peu moins, c’est qu’une véritable politique d’incitation à la création d’entreprise par des non-britanniques a été mise en place. Certains cabinets se sont spécialisés dans la création d’entreprises à responsabilité limitée pour non-résidents britannique. Pour environ £150 (TVA incluse), on vous créé votre entreprise, on fait toutes les démarches, vous n’avez plus rien à faire. Quand on regarde les éléments concernant la société EIMHIR, on se rend compte que Douglas Barber est Canadien et qu’au moment de la création de l’entreprise, il n’était pas seul à bord, mais accompagné de Mlle Rochelle Birbal et de Mme Susan Mary Hollyman. La seconde n’a pas grand intérêt pour nous mais la première, si. En effet, Mlle Rochelle Birbal a été ou est encore, directrice dans plusieurs sociétés, toutes à responsabilités limitées, semblant occuper le même secteur d’activité qu’EIMHIR.

Les sociétés de Douglas Barber

En dehors des documents légaux habituels, difficile de savoir ce que font réellement les sociétés dirigées par Rochelle Birbal. Si les recherches sur Play Web Limted n’ont rien donné, celles sur Jtunes Media Limited ont permis de trouver ce qui se cachait derrière : un site de jeux en ligne, intitulé jo-game.com. Sur le même modèle que Lilplay, l’internaute souscrit un abonnement pour jouer de façon illimitée à tous les jeux possibles. Quant à Timegame Ltd, il est relié au site bombgame .net. Comme Lilplay et Tzarmedia, ces deux sites sont identifiés comme arnaque/scam/phishing par des internautes car les prestations promises n’existent pas.

Les entreprises de Rochelle Birbal

Rochelle Birbal est plutôt modeste dans sa création d’entreprise, se contentant pour le moment d’avoir été ou d’être directrice ou secrétaire de cinq sociétés. Mais en regardant avec qui elle a créé ces entreprises, on découvre de véritables prête-noms professionnels comme Frances Ann Gordon, qui était directrice de l’autre entreprise de Douglas Barber, Fun Fusion Limited, ou encore Michael Thomas Gordon qui a occupé 875 postes de directeur ou secrétaire.

Les entreprises de Frances Ann Gordon

Toutes sont relativement obscures et ne délivrent que peu d’informations sur leurs activités, elles sont logées aux mêmes adresses, parfois dans des sociétés de domiciliation comme Regus. Parmi les adresses utilisées pour enregistrer les sociétés, on trouve le 72 High Street, Haslemere, Surrey, GU27 2LA, qui se trouve être aussi l’adresse d’une société spécialisée dans la création d’entreprises offshore : Fletcher Kennedy Corporate Services.

En s’attachant les services d’un cabinet spécialisé dans le conseil et la création de sociétés offshore, Douglas Barber s’assure une certaine impunité et il semble probable que Rochelle Birbal ne soit qu’un prête-nom, qui reçoit une certaine somme de façon ponctuelle pour permettre à des non-résidents britanniques de continuer leurs petites arnaques, ce qui pourrait expliquer aussi le modeste bénéfice par rapport au chiffre d’affaires.

A ce stade, cela ne peut être que des suppositions mais il semble très curieux que toutes ces personnes et toutes ces entreprises soient toutes relativement obscures, qu’elles semblent toutes œuvrer dans le secteur des médias et du divertissement, sans pour autant être transparentes ni être très présentes sur les réseaux sociaux. Il est également amusant de constater que si ces entreprises ont été initialement fondées ou cofondées par des Britanniques, elles sont aujourd’hui gérées par des non-résidents Britanniques.

La marche à suivre semble être la suivante :

  • Un non-résident Britannique prend attache auprès des Fletcher, qui ont créé plusieurs sociétés spécialisées dans l’offshore ;
  • L’entreprise est juridiquement créée avec à sa tête un résident Britannique pour faciliter les démarches et hébergée dans une société de domiciliation ou au domicile du résident Britannique ;
  • Les différents sites sont construits et propulsés, avec des noms de domaine évocateurs, tous achetés auprès d’ENOM et hébergés dans les Îles Vierges ou les Seychelles ;
  • Le trafic vers ces sites est alimenté grâce à de vrais-faux moteurs de recherches, des blogs affiliés et des publicités, notamment sur des sites de téléchargement comme feu Zone-Telechargement ;
  •  En cas de récrimination des internautes, ils sont remboursés moyennant une pénalité.

C’est un système bien rôdé, bien installé et le véritable problème n’est pas seulement Douglas Barber et ses sites. Il en existe des dizaines d’autres.

Le problème juridique

Juridiquement, le système mis en place par Douglas Barber est inattaquable sauf à prouver que les coordonnées personnelles des internautes trompés ont été revendues leurs cartes bancaires, utilisées frauduleusement. De ce qu’il ressort des pages Facebook de Lilplay et Tzarmedia, dès qu’une plainte est formulée, les internautes voient leurs abonnements résiliés, tels qu’indiqués sur leurs conditions générales d’utilisation. A proprement parler, il ne s’agit pas d’une escroquerie même si le terme a été utilisé à plusieurs reprises.

Sur la question du droit d’auteur, dans la mesure où aucun contenu n’est stocké, il est peu probable qu’une coalition d’ayants-droits – comme cela a été le cas avec feu Megaupload et Zone-Telechargement – voit le jour pour poursuivre cette ferme de sites. Tout au plus, pourrait-on reprocher EIMHIR de faire croire qu’il met à disposition des contenus mais l’infraction ne serait pas nécessairement matérialisée vu qu’il ne s’agit que de coquilles vides.

Il existe sûrement une qualification pénale appropriée pour les activités que mènent Douglas Barber et son équipe mais la question est : la justice internationale et communautaire se déploiera-t-elle ? En effet, lorsque l’on sait que sur des dossiers infiniment plus sensibles comme le trafic d’êtres humains, la justice n’a que très peu de moyens d’action, on imagine mal comme un escroc à la petite semaine pourrait réellement les intéresser. On pourrait objecter que pour mettre fin à Megaupload, la coopération internationale s’est mise en place. Mais Kim Dotcom avait un style de vie très ostentatoire, il narguait ouvertement la justice et les ayants-droits dans les médias et sur les réseaux sociaux et lors des perquisitions menées dans son manoir, on a retrouvé des stupéfiants et des armes. Douglas Barber est quelqu’un de très discret, qui ne fait absolument pas parler de lui.

Enfin, sur la question de la fiscalité, même si les documents comptables font ressortir quelques bizarreries, il reviendrait au fisc britannique de se pencher sur la question et là encore, rien n’indique qu’il ait été saisi pour enquêter ni même qu’une éventuelle enquête serait « rentable » pour leurs services.

C’est en cela que le système mis en place est très bien pensé : il est conçu pour endormir la méfiance, se base sur les désirs immédiats des internautes qui veulent obtenir des contenus, la présence de coordonnées rassure et le fait que la société existe juridique et dépose des documents fiscaux et comptables laisse entendre qu’elle est honnête. Le design des sites est propre et professionnel, les textes sont cohérents et le système de backlinks est construit de telle manière qu’il n’y a aucune raison de se méfier.

Conclusion 

Devant un système aussi bien pensé, on ne peut être qu’admiratif. Mais, derrière ces sommes indécentes, il y a des internautes non avertis, qui tombent dans un piège trop bien conçu et légalement inattaquable. Alors que faire ? Tout d’abord, se renseigner systématiquement sur les sites avant de faire la moindre opération d’achat. Si vous sortez des portails reconnus comme la FNAC, Amazon ou Netflix, cherchez-les dans un moteur de recherche. Il ne sert à rien de les signaler à PHAROS car ces sites ne violent pas la loi.

A ce jour, il n’existe pas de base de données des sites qui recenserait ce type d’arnaque. On trouve des portails énumérant les scams, les phishing et autres propagateurs de malware mais ils ne sont pas adaptés car les sites dont nous avons parlé ne rentrent pas strictement dans la définition du scam, du phishing ou du propagateur de malware.

Par ailleurs, des textes spécifiques ne seraient pas non plus une réponse appropriée. En réalité, les seules personnes qui pourraient agir, seraient les ayants-droits. En effet, il ressort clairement de tous les commentaires laissés sur les sites de scams, sur les pages Facebook et autres annuaires de malwares et de phishing que les gens qui ont été escroqués, voulaient acheter des contenus. Simplement, ils ne l’ont pas trouvé sur un portail connu. Megaupload nous l’avait déjà montré en 2012 : la majeure partie des personnes sont prêtes à payer pour avoir leurs contenus. A ce jour, Netflix remporte les suffrages mais ne convient pas à tous les usages ni à tous les supports, de même qu’Amazon ou FNAC. Parce que les systèmes législatifs du droit d’auteur ne sont pas harmonisés, les internautes sont les premiers lésés. On peut fermer tous les sites comme Zone-Telechargement, le fait est qu’ils répondent à une demande, à laquelle les ayants-droits ne répondent pas et que tant qu’ils n’y répondront pas, d’autres sites verront le jour, encore plus massifs, encore plus plébiscités, encore mieux conçus et encore mieux cachés.

Des gens comme Douglas Barber continueront à se faire de l’argent sur le dos des internautes tant que les ayants-droits n’auront pas mis au point des systèmes satisfaisants. Le jour où les internautes pourront avoir accès à tous les contenus souhaités, sans verrous numériques, sans limitation dans leur mode de consultation et de façon interopérable, non seulement ces arnaques diminueront d’elles-mêmes mais le fait d’accéder à des contenus culturels numériques sans s’acquitter des droits se réduira de lui-même.

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