La non-application des lois : le naufrage de l'Etat

Nous en avions très longuement parlé dans GNU/Linux Magazine France : la loi sur le renseignement, votée et jugée conforme à la Constitution durant le printemps et l’été 2015. Au moment des attentats, la moitié des décrets permettant sa mise en œuvre n’étaient pas publiés. Loin de moi l’idée de défendre ce texte mais il est tout de même curieux que le Ministre de l’Intérieur qui n’a pas eu de mots assez durs envers les opposants de ce texte, ait à ce point traîné des pieds pour sortir les outils juridiques – qui dépendent de son Ministère – permettant son application.

Au 21 novembre 2015, voici la liste des éléments n’ayant pas fait l’objet d’un décret d’application :

  • Services autres que les services spécialisés de renseignement, relevant des ministres de la défense et de l’intérieur ainsi que des ministres chargés de l’économie, du budget ou des douanes autorisés à recourir aux techniques de recueil de renseignement mentionnées au titre V ;
  • Liste des traitements ou parties de traitement intéressant la sûreté de l'Etat dont les contentieux relatifs au droit d'accès indirect relèvent du Conseil d'Etat ;
  • Modalités relatives à l'accès administratifs aux données de connexion ;
  • Détermination des modalités et des conditions d'échanges d'informations entre les services de renseignement et les autres autorités administratives ;
  • Modalités et conditions d'utilisation du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions terroristes et conditions de conservation de la trace des interrogations et des consultations dont le fichier a fait l'objet ;
  • Délai à partir duquel peut être saisi le président de la chambre de l'instruction ;
  • Détermination des services pouvant avoir accès aux traitements automatisés de données à caractère personnel mentionnés à l'article 230-6 du code de procédure pénale et modalités d'accès.

Seulement cinq mesures ont fait l’objet d’un décret d’application en septembre et octobre 2015. Quand on se rappelle la précipitation avec laquelle le Premier Ministre et le Ministre de l’Intérieur ont souhaité faire voter le texte, il y a de quoi être interloqué.

Est-ce le signe que le texte miracle tant promis comme étant la solution à tous nos problèmes, n’était pas aussi simple que cela à mettre en œuvre et nécessitait un certain recul ?

L’exemple de la loi sur le renseignement est très symptomatique mais le fait qu’un certain nombre de lois ne sont jamais appliquées ni respectées et mon expérience personnelle actuelle me montre que vous pouvez faire tous les signalements que vous souhaitez d’agissements délictueux, il faut presque un miracle pour que les autorités concernées décident d’agir.

L’outil informatique, dans son ensemble, peut tout à fait contribuer à la sûreté de l’Etat et donc à la sécurité des citoyens, sans qu’il soit nécessaire de grignoter encore plus la minuscule peau de chagrin qu’est devenue la vie privée. Mais l’outil n’est rien sans volonté politique forte et affirmée et tous les éléments prospectifs ne peuvent fonctionner s’ils ne s’inscrivent pas dans une perspective à très long terme. Il est d’ailleurs assez dommage que les autres Ministères tels que la Ville et l’Economie Numérique n’aient pas encore été associés à des réflexions plus poussées que les déploiements militaires.

Souhaitons que cette démonstration du naufrage de l’Etat soit le dernier. 

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