La face cachée des Labs

Ce n’est un secret pour personne que j’ai eu l’occasion de travailler pour la HADOPI, d’octobre 2011 à décembre 2012. Plus précisément étais-je chargée de mission Web au sein des Labs – fonction qui soit-dit au passage ne veut pas dire grand-chose. Hier soir, j’ai appris que le collège de l’Hadopi avait supprimé les Labs. Bien que ne faisant plus partie de cette institution, certaines déclarations me poussent à expliquer le pourquoi du comment de cette suppression qui n’est pas si arbitraire ni si injuste qu’elle y paraît.

En octobre 2011, j’intégrais les Labs au sein d’un département qui lui était quasiment exclusivement dédié : la DDO (Délégation à la Diffusion des Œuvres) avec une chargée d’études pour le Lab Propriété Intellectuelle, une chargée d’études pour le Lab Socio et Economie, une documentaliste, un docteur en informatique pour le Lab R&T et d’autres personnes. On y comptait aussi à cette époque sept experts. Ma première rencontre avec eux a été particulièrement épique : entre celui qui ne venait que pour étaler sa science sans jamais faire quoique ce soit de concret, celle qui venait minauder, celle qui venait casser du sucre sur tout le monde et celui qui venait faire des blagues, autant dire que les Labs n’étaient pas rendus et nous avec.

En mai-juin 2012, restructuration des services, nous nous retrouvons à deux pour faire tourner les Labs et tenter tant bien que mal d’encadrer nos experts, nous en avions paumé deux au passage. A ce moment-là, nous savions clairement qu’il nous restait six mois pour faire nos preuves, six mois pour sauver les Labs et tout ce qui avait été construit autour. Lors de la restructuration, on m’avait proposé initialement de rejoindre la direction de la communication et des relations extérieures. J’ai préféré rester aux Labs. Non seulement pour le pari que représentait la survie des Labs mais également parce que j’avais fini par m’attacher aux internautes fidèles qui nous suivaient et nous encourageaient.

Mon directeur et moi-même avions des idées, des objectifs, chacun avait son projet : mon directeur avait ses booklets et moi, mes workshops et surtout un livrable sur la sécurité informatique, qui était mon bébé. L’été se passe tant bien que mal. Les experts nous font des cachoteries, s’expriment dans certains médias, au détriment d’un certain bon sens, se montrent peu disponibles – organiser une réunion une fois par mois relevait de la gageure et d’une logistique digne d’un plan de bataille pour envahir la Corée du Nord – rechignent à écrire, demandent plus de moyens. A nous de faire tampon pour leur expliquer gentiment qu’ils ont une chance inouïe : ils sont les seuls à être payés en tant qu’experts par une institution publique ET à garder leur indépendance, leur permettant notamment de dire deux cents mille conneries dans certains organismes (on ne dira pas lesquels). En effet, les autres autorités publiques indépendantes utilisant les services d’experts ne les rémunèrent pas ou leur imposent des conditions très strictes, notamment un devoir de réserve, d’exclusivité et de confidentialité. Le minimum qu’on leur demandait était de faire des textes de 5000 signes une fois par mois maximum. Ca faisait longtemps que nous avions renoncé à essayer de les faire interagir avec les internautes sur le site des Labs ou sur Twitter. Non pas que nous n’avions pas essayé mais à part deux experts réellement motivés pour le faire, les autres ne s’y intéressaient tout simplement pas.

Arrive septembre et pour moi, quelques cheveux blancs : nous devions impérativement remettre le livrable sur la sécurité informatique – dont le format devait être d’une soixantaine de page – avant la fin de l’année civile et le plan n’avait toujours pas reçu l’approbation des experts. A part moi, personne ne s’en inquiétait. Lors de la présentation de ce plan en réunion, la seule réaction des experts – à l’exception de Bruno – a été de demander des moyens financiers et humains supplémentaires pour travailler sur ce document et de démolir consciencieusement le plan que j’avais bâti en respectant à la lettre les instructions qui m’avaient été données Mon ego en a pris un coup ce soir-là. Les dites réunions mensuelles devenaient de plus en plus lourds, de plus en plus anxiogènes : elles étaient un défouloir de la frustration ressentie par certains et certaines, frustration qui n’était pas légitime. Il fallait en permanence travailler à leur place, pour les voir ensuite récolter les lauriers de la gloire sans pour autant qu’ils se prennent les coups qui pouvaient arriver de l’intérieur ou de l’extérieur. A titre d’exemple, une collègue – qui ne pensait nullement à mal d’ailleurs – m’a un jour demandé « mais ça existe encore les Labs ? ».

Je travaillais avec des bouts de ficelles – restrictions budgétaires oblige – et je passais mon temps à jongler pour épargner les égos démesurés auxquels j’avais quotidiennement affaire. J’avais déjà eu des boulots particulièrement pénibles dans ma vie : je crois que celui-ci remporte la palme.

En octobre, on demande aux experts de réfléchir très sérieusement à ce qu’ils voudraient pour les Labs en 2013. Certains complotent littéralement dans leur coin et refusent de délivrer la moindre information à ce sujet, nous laissant tous dans le flou. Mais cela ne les empêchent nullement d’être toujours aussi exigeants, de demander plus de prérogatives et d’intriguer littéralement dans notre dos et le dos de l’institution, juste pour se placer sur le nouvel échiquier politique et non pour le bien sur service public. J’en étais dégoûtée et je m’en rendais littéralement malade. 

En novembre, je craque, je m’éloigne et je pose officiellement ma démission en décembre.  J’apprends par Radio Moquette que le collège – organe exécutif de la Hadopi – se réunit le 19 décembre pour décider du sort des Labs.

Objectivement le bilan est mauvais : un workshop, quatre booklets, un ouvrage sur l’auteur au temps du numérique et une réunion sur le streaming. Des chiffres de lectures des ouvrages désastreux. Activités très minces pour des moyens que j’estime considérables et je n’inclue pas le livre vert sur le filtrage pour une raison simple : il n’a pas été rédigé par les experts et m’a valu quelques nuits blanches.

Les Labs étaient une pure création de la Hadopi : à aucun moment dans la loi cette entité n’a été évoquée. C’était donc la seule qui pouvait être supprimée sans l’intervention du législateur et quand on fait la balance moyens/résultats, n’importe quel gestionnaire comprend qu’il vaut mieux arrêter l’hémorragie, surtout en face de personnes qui ont totalement oublié la notion d’humilité et de travail.

RIP les Labs mais qu’il soit clair dans l’esprit de chacun que ce n’est que le résultat d’une paresse et d’un ego surdimensionné : celui des experts qui n’ont su que demander et exiger sans quasiment jamais rien faire en retour. Il n’est pas normal qu’avec de telles gratifications mensuelles, la plupart aient exigé d’avoir des chargées de mission qui faisaient office de nègre. Il n’est pas normal qu’avec de tels avantages certaines personnes aient sciemment craché sur l’institution qui les dorlotait, invoquant purement et simplement la suppression de l’institution.

Ceux qui me connaissent savent que je n’ai pas toujours été très tendre avec la Hadopi, que ce soit avant de l’intégrer, pendant ma prise de poste et après ma démission. Mais je sais aussi où se situe le curseur entre la réalité et le fantasme.

Un dernier mot : merci aux internautes qui ont soutenu les Labs, qui sont venus aux évènements, qui ont écrit sur la plateforme, qui ont lu et relayé les écrits des chargées de mission. Merci à ces personnes de l’ombre qui m’ont soutenu au quotidien, cela n’a pas été facile pour eux et je les remercie de leur patience. Merci aussi aux détracteurs de l’institution : vos propos ont souvent été une source d’inspiration.  

Commentaires

Donc si je comprends bien, le meilleur métier du monde c'est "expert" ? #Pardon

Même pas dans la mesure où si tu ne bosses pas, tu es quand même dégagé :) 

Désolé pour toi, qu'est cela m'a déçu que tu fermes ton blog pour cette institution. Ton blog était à mon sens bien meilleur que tout ce qui ressortait de ces labs.

Hello, juste une correction :) Je n'ai pas fermé mon blog à cause de l'Hadopi. J'ai fermé mon blog en août 2011 et j'ai intégré l'Hadopi en octobre 2011, c'était un choix personnel :)

Merci à toi de d'être ruiné la santé pour cela.

Je pense qu'au fond de nous (Suffit de relire les articles des différents participants) on savait tous comment ça finirait. Mais il fallait le faire quand même , ne serais-ce que pour ne pas prêter le flanc à la critique.

Donc oui, merci de t'être dévoué.

A mon sens, de toute façon, les jeux sont faits:
Soit on part dans une direction totalitaire, sur un réseau "intelligent" bourré de DPI et on en revient en somme à un réseau X25 nouvelle génération sur ce qu'on ne pourra plus appeler "Internet" (cf. les documents proposé à la réunion ITU de ce mois-ci)

Soit , à un moment, les ayants-droits & les législateurs seront au pied du mur, et ils devront accepter de faire table rase du passé éphémère du 20ème siècle et accepter de repenser totalement TOUT le droit d'auteur, les contrats, les protections, les redevances, tout. Parce que les gens ne s'arrêteront pas de partager, sauf dans le cas ou Internet est modifié (cf. cas 1))

Gandhi-style :-)

Merci à ceux qui ont aidé :) Pour les autres, je pnse qu'ils sont en retard d'une guerre malheureusement pour eux.

Alors là, ayant un peu bourlingué au sein des administrations, laisse moi te dire que ce n'est pas du tout exceptionnel ce que tu nous raconte là... Je compatis au diverses galères que tu as rencontré, pour le reste tu es seule juge de l'histoire...

Disons qu'il y a des phénomènes que j'ai rencontré durant cette période dont je sais qu'ils sont inhérents à l'administration française mais certaines aberrations étaient propres aux Labs ;)

Merci à toi, Tris.

Je vais laisser un message sur le forum des labs dans l'après midi, si tu as le courage.

Dans la mesure où je n'y ai plus accès, si tu veux que je puisse le voir, il faudra me le linker :)

Waou :) Merci, ça fait plaisir :) 

J'ai apprécié les gens que j'ai vu autour des labs, donc je le dis ;)

Bossant dans l'informatique, je crois que je vais faire un peu de data mining, histoire de récupérer le nom de ces experts... afin d'être certain de ne jamais les embaucher, si jamais l'occasion se présente.

Il y a peu de risques que tu les embauches car à part Turblog, les autres experts n'évoluent pas dans le domaine de l'informatique. 

"merci aux internautes qui ont soutenu les Labs"
c'est une blague ? pas vrai ?

Non c'est sincère car on avait une poignée d'internautes qui semblaient sincèrement attachés aux Labs et qui venaient aux évènements, écrivaient sur le forum, etc. Par exemple, la synthèse sur les freins à la VoD n'aurait pas pu voir le jour si les internautes ne s'étaient pas exprimés. Je n'ai fait qu'un travail de mise en forme :)

Il en faut pourtant bien un, d'ego sur dimensionné, pour se targuer du titre d' "expert" dans un domaine aussi mouvant.

C'était le titre donné ... Mais nous sommes d'accord sur le fond. 

Je déclare ouverte la chasse à l'expert véreux.
Calibre 30 recommandé. Ces bestiaux sont plus coriaces que des sangliers.

Ha ha :)

Cette vaste blague.

Qui a coûté cher, tant sur le plan humain que sur le plan financier pour des résultats somme tout assez médiocres. 

En même temps les vrais experts t'avaient prévenus dès le départ.
Mais c'est bien d'avoir tenté. Au moins, même si tu as été parfois maladroite dans ta communication tu as su rester intègre et honnête.
T'as plus qu'à prendre ta carte à la Quadrature du Net :p

C'est vrai mais bon, ce qui est fait est fait :) Oui, t'as raison, ils vont m'accueillir à bras ouverts à LQDN :p 

Dans le genre ego "sur dimensionné" je suis certain que tu es tombé sur des perles, c'est ce que laisse penser l'article, mais bon malheureusement c'est grâce/à cause de personnes comme eux que le monde tourne... dans le mauvais sens ?

ps: rien à voir avec l'article, mais jolie image twitter.

Merci Tris pour ce témoignage, nous appreenant les échecs des labs de hadopi. Courage pour la suite!

Ce que tu raconte dans ton experience n'est plus ni moins qu'une situation standart dans un "grosse" société française
beaucoup de chef ... aucun ne connais la technique .. et une guerre de pouvoir permanente

c'est le mal français ... d’ailleurs un systéme ayant une grande inertie je pense que la france na plus depuis bel lurette sont numéros 5 mondial ... on va se tier mondisé a vitesse grand V .. vue la nullité de nos élites ..

d'ailleur c'est ce qui se passe avec la production musical .. des grosse majors qui fagocitte toute la production et qui étouffe tout les talents hein ;-) et hadopi c'est la même chose du copinage de petit chef .. qui ne connaisse rien a la technique mais qui sont en guerre de pouvoir permanent ...

ceci étais un post cyclique ;-)

J'ai eu l'occasion de travailler avec des soit disant experts en sécurité informatique.
Ils se comportaient exactement comme le décris l'article, en nabab se nourrissant sur la bête, se positionnant au mieux de leurs interets , trahissant sans vergogne, utilisant le travail des autres pour se mettre en valeur.
Dans les faits, et je peux en parler en connaissances de cause, ce sont pour beaucoup des charlatans qui ont appris par coeur un vocabulaire "expert" qu'ils ne comprennent pas vraiment et qui ne font que du story telling...
Ils n'ont de technique que le nom, ce sont dans les faits des politiques....

GG ^_^

C'est dommage, surtout au regard de ton professionnalisme. J'ai été également assez déçu de ma rencontre avec Hadopi... et les Labs. Un peu plus d'ouverture d'esprit et d'humilité auraient pu faire de cet espace un lieu d'échange... Mais le politique a tout rigidifié.
J'espère qu'on se recroisera un jour ;)

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