Une histoire de mise en demeure

Vendredi, l'association LinuxFr a eu la mauvaise surprise de recevoir un courrier de mise en demeure. Le motif ? Un commentaire laissé en bas d'une annonce d'offre d'emploi d'une agence de communication. Amusons-nous à décortiquer la demande et à expliquer pourquoi la demande n'est pas juridiquement justifiée. 

Les faits

La mise en demeure de l'avocat énonce que le commentaire laissé par un internaute, ayant un compte en tant que membre, sur le site de LinuxFR, est préjudiciable car nuirait à l'image de l'entreprise. Le commentaire incrimé énonce ceci : 

- /texte supprimé/ (utf-8 indiqué mais Latin1 utilisé)
- 69 erreurs sur le validateur W3C
- Le code javascript est mélangé au HTML
- Aucune structure générale dans la page
- Injection de CSS/HTML avec des valeurs constantes
- Mélange de nombreuses lib JS, la ou vous pourriez n'en utiliser qu'une seule
- Trop de code commenté
- Design complètement fixe

En lui-même, le commentaire - bien qu'un peu désagréable - se borgne à énoncer des faits purement techniques et objectifs. A titre d'exemple, énoncer que le charset utilisé ne convient pas ou qu'il susbiste des erreurs de code revient à souligner qu'il existe des fautes d'orthographe et/ou de syntaxe dans un texte. Ce n'est pas agréable mais ce n'est pas faux ni injurieux. 

Les arguments juridiques utilisés 

L'avocat utilise deux moyens juridiques : l'article 1382 du Code Civil et l'article 6 de la LCEN. 

L'article 1382 du Code Civil est l'article de référence de la responsabilité délictuelle. Pour faire simple, quelqu'un va vous créer un préjudice, vous pourrez vous retourner contre lui. Mais attention : il faut trois éléments pour que la responsabilité délictuelle soit fonctionnelle : un dommage créant un préjudice et que le lien de causalité existe. En plus clair : si je me casse le nez, je ne pourrais me retourner contre mon voisin que si c'est bien son poing qui est venu se fracasser sur mon nez. Dans le cas qui nous intéresse, malheureusement, le préjudice n'est pas caractérisé. L'avocat énonce que sa cliente a subi un préjudice moral car elle était dénigrée dans le commentaire. Or, il n'existe pas de preuves, d'arguments qui montreraient que ce simple commentaire a réellement causé un préjudice et surtout, quel aurait été la portée de préjudice. 

Concernant l'article 6 de la LCEN, le texte énonce clairement qu'un éditeur qui ne peut pas voir sa responsabilité civile engagée s'il n'a pas eu connaissance de faits illicites ou litigieux. En d'autres termes, la demande de l'avocat aurait été fondée si, après plusieurs prises de contact, LinuxFr avait refusé d'effacer ou de modérer le commentaire, qui - rappelons-le - n'est même pas réellement litigieux. Dans le cas qui nous intéresse, non seulement le caractère "illégal" n'est pas démontré, non seulement le préjudice n'est pas caractérisé a.k.a. est-ce que ce commentaire a été si nocif que cela mais en plus, la LCEN protège l'association. 

On le voit, la mise en demeure est juridiquement peu ... convaincante. Mais le plus choquant reste la demande d'indemnisations. 

Une demande d'indemnisations qui ressemble à une extorsion de fonds

A la fin de la mise en demeure, l'avocat demande à ce que l'association LinuxFR lui rembourse les frais d'avocats engagés. Mis à part le fait qu'à ce stade d'une procédure juridique, il n'est absolument pas question de régler d'hypothétiques frais de justice, demander une somme aussi importante à une association semble - moralement - peu charitable. Seul un magistrat peut décider de l'allocation d'éventuelles indeminisations, ce qui implique qu'il y ait un procès devant un tribunal, ce qui implique une condamnation. Qu'il soit clair dans l'esprit de chacun que l'association n'a pas à payer quoique ce soit à ce stade. 

L'arme juridique au service de la e-réputation

Personnellement, je trouve particulièrement regrettable de se servir de l'outil juridique pour tenter améliorer sa e-réputation et intimider des associations. Quand bien même l'entreprise emmènerait l'association devant les tribunaux, outre la perte de temps et d'argent, elle a perdu en crédibilité.

Il aurait convenu d'étudier toutes les possibilités avant de procéder ainsi, notamment tenter de dialoguer avec l'association qui a montré qu'elle n'était ni sourde ni aveugle. L'entreprise a tenté d'intimider un groupe en pariant sur le fait, que non seulement, elle se tairait, mais qu'elle ne se défendrait pas. Si une agence de communication ne voit comme seul moyen de communiquer que la menace de la justice, elle devrait réfléchir à sa reconversion. 

Enfin, sachez que si une mésaventure identique vous arrive, il ne faut surtout pas hésiter à la relayer sur les réseaux sociaux. 

Commentaires

Le commentaire original insinue que le site a été fait par des stagiaires il me semble.

Sachant que le coeur de métier de la société qui est visée est la création de sites, on pourrait appeller ça de la discrimination non ? (Bon, tout le reste est parfaitement risible par contre).

En quoi le fait d'insinuer que le site aurait été fait par des stagiaires peut être une forme de discrimination et surtout envers qui ? :) 

Soit envers la société, car on suggère qu'elle utilise des stagiaires pour faire son métier, soit envers ses développeurs qu'on compare à des jeunes étudiants (qui a priori travaillent mal).

Je me posais juste la question en fait, mais j'imagine que c'est bien maigre pour engager une procédure.

Mais ce n'est pas de la discrimination :) 

La discrimination est le fait de favoriser ou de défavoriser quelqu'un sur un critère subjectif : sexe, orientation religieuse/politique/sexuelle, couleur de peau, etc. 

Tout au plus pourrait-on y voir une forme de diffamation mais la diffamation est un délit de presse, strictement encadré et en l'espèce, le délit n'est pas constitué. Idem pour l'injure publique. 

Diffamation... Mais *pourquoi* j'ai écrit discrimination moi ???

Bon ben %s/discrimination/diffamation/g dans mes commentaires précédents, ça va paraître déjà beaucoup plus clair.

Merci pour tes réponses.

Ce n'est pas grave :) Mettons ça sur le fait que c'est vendredi. 

Il n'y a pas diffamation car on est sur des éléments objectifs. Dire "machin est un voleur et il a détourné des sous", c'est de la diffamation. Dire qu'un charset n'est pas confirme, c'est un fait objectif :)

"En lui-même, le commentaire - bien qu'un peu désagréable - se *borgne* à énoncer des faits purement techniques et objectifs."
Certes, au pays des aveugles le borgne est roi, mais bon, passé les bornes, y a plus de limites. ;)
sinon merci pour l'éclairage juridique :)

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