Contribuer à l'open-source pour décrocher un job ?

* Ce texte est mon intervention - dont je me suis quelque peu éloignée - lors de la quatrième édition des Open Du Web.* 

Lorsque les organisateurs de l’évènement Open Du Web sont venus me chercher pour faire un speech, j’ai commencé par leur dire qu’ils s’étaient trompés de personne. Après quelques échanges de mails, on a fini par trouver un terrain d’entente avec un sujet plus trollogène qu’il n’y paraît : l’open-source et les ressources humaines.

Pour tous les développeurs, admin-sys et intégrateurs, la question ne se pose même pas : bien sûr que la maîtrise technique de l’open-source est un atout sur leurs CV vu la pénurie de compétence en la matière, enfin, pénurie sur le papier.

Force est de constater que les ressources humaines ne sont pas les plus innovantes. Si vous avez fait des études d’informatique ou que vous êtes dans ce secteur depuis une dizaine d’années, il y a fort à parier que vous n’aurez que peu de difficultés à trouver un employeur. Le mot d’ordre reste exactement le même que dans toutes les autres entreprises : un profil très lisse, qui rentre bien dans toutes les petites cases. Le CV idéal serait celui d’une personne qui a fait des études en informatique, sans redoubler ni s’arrêter, aurait fait des stages durant toutes ses années dans le supérieur, décroché un job à la sortie de l’école, travaillé minimum cinq ans dans une entreprise et vaguement participé à des évènements quelconques liés à l’open-source. Cas d’espèce pour les développeurs Drupal : avoir pondu au moins un module custom, peu importe l’efficacité dudit module, la pertinence et la maintenance dans le temps.

Vision bien triste des DRH dans un monde où le CV linéaire est de plus en plus rare mais tend presque à démontrer une absence totale d’originalité. Mais c’est rassurant et compréhensible pour les DRH. Ce sont donc toujours les mêmes types de personnes qui sont recrutées et très demandées pendant que les outsiders et ceux qui se sont auto-formés restent sur le bas-côté.  Autour de moi, il existe un certain nombre de personnes réellement compétentes dans certains domaines mais qui ne sont pas embauchées parce qu’elles ne rentrent pas dans ces fameuses petites cases et en la matière, que l’on soit dans le domaine des nouvelles technologies ou de secteurs plus traditionnels, le tarif est le même pour tous. C’est terriblement navrant. A ce jour, je ne connais que trois entreprises dans le secteur des nouvelles technologies, qui recrutent d’abord sur la compétence : Cassidian, Gandi et NBS-System. Les candidats sont d’abord techniquement testés.

Certains le savent, j’ai travaillé un temps à l’Hadopi et j’en ai même fait un bouquin de cette aventure. Etant encore dans les murs de l’institution, je cherchais un autre boulot, si possible, en rapport avec ce que j’aimais faire en informatique : le développement sous Drupal et la sécurité informatique. En tout, j’ai cherché pendant 18mois un travail dans le domaine des nouvelles technologies, écumant les annonces, scrutant Twitter, refaisant systématiquement mon CV, personnalisant ma lettre de motivation. C’est finalement presque par hasard, que j’ai réussi à trouver un emploi et ce, grâce à quelqu’un qui n’avait pas d’œillères. Beaucoup de gens m’ont reproché d’avoir intégré l’Hadopi mais cette institution a été la seule à m’avoir embauché sur mes compétences réelles, sans jugement de valeur. Enfin, la troisième autre entité qui a pris en compte mes activités annexes a été la directrice d’un Master 2. En tout, de 2011 à maintenant, trois entités ont réellement pris en compte mes capacités réelles et trois entités m’ont d’abord jugé sur mes compétences. Il est d’ailleurs très amusant de constater que les trois personnes qui m’ont fait confiance ne sont au cœur même de l’innovation technologique. 

Que dire des agences de recrutement et autres SSII ? Leurs discours et leurs attitudes sont plus que navrantes : aucune mise à l’épreuve, aucune recherche, aucune ouverture d’esprit. Ne pas avoir compris que l’excellence passait par autre chose qu’un parcours sans aspérités est une faute intellectuelle.

A celles et ceux qui codent mais qui n’en ont pas fait leur métier, le seul conseil que je vous donnerai est d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte. Ce n’est pas par hasard que les pays nordiques sont meilleurs que nous, la Suède par exemple. Leurs méthodes de recrutement et de management sont tellement plus logiques et tellement plus sensées que le contraire serait étonnant. J’avais même commencé à regarder du côté de Stockholm pour m’y expatrier.

J’ai beaucoup parlé des gens qui codent mais l’open-source ne peut pas exister sans d’autres catégories de personnes : les graphistes, les documentalistes, traducteurs et les bêta-testeurs. Je connais très mal le monde du graphisme, je ne m’étendrais pas dessus. Mais l’expérience m’a démontré que ceux qui s’occupent de la documentation, de la traduction et des tests utilisateurs comptent pour du beurre. Or, s’il n’y a pas de documentation, un « produit » open-source ne peut pas survivre. Faire de la documentation technique mais facilement accessible aux néophytes est une ressource rare mais peu valorisée. Pourtant, l’une des puissances de Microsoft et d’Apple réside justement dans ce côté user-friendly, c’est du click-o-drôme, c’est vaguement joli et c’est documenté. A titre d’exemple, je trouvais que la documentation française sur la sécurité pour Drupal était un peu lacunaire, pas assez accessible. J’ai donc entrepris, avec la supervision d’un ami, une traduction améliorée de Cracking Drupal, la bible de référence en anglais sur la sécurité sous Drupal. Je l’ai présentée et publiée. Lorsque j’ai candidaté à différents postes, aucun recruteur du secteur technologique ne m’a posé de questions dessus. La seule personne à m’en avoir parlé a été ma directrice de Master 2 et on ne peut pas soupçonner le monde juridique d’être particulièrement original.

Quel constat peut-on en tirer ? Que la majeure partie des entreprises dites innovantes sont d’un rigorisme à faire pleurer un âne, reproduisant un schéma social et sociétal d’un archaïsme inquiétant et suicidaire. Le monde de l’open-source et du libre prône une ouverture d’esprit, un dépassement de soi, de ses limites. Lorsqu’une entreprise fait son beurre sur les technologies open-source sans en appliquer les principes directeurs, elle fait plus de mal que de bien à ce monde et n’y a, tout simplement, pas sa place.

Le mot de la fin : dans quelques temps, je vais être amenée à recruter un admin-sys. Vous savez ce que je vais regarder : ses projets. Je vais regarder quelles ont été ses contributions à la communauté, s’il est adhérent à certaines associations, s’il a participé à des évènements en particulier. Et ensuite, je lui ferai passer des tests techniques. Je préfère travailler avec quelqu’un qui a un CAP de cuisinier mais qui a est actif dans le monde du libre et de l’open-source et sait me résoudre certaines difficultés techniques, qu’une personne qui a fait 5 ans d’études, 3 ans dans une entreprise quelconque mais qui est incapable de sortir de sa zone de confiance. 

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