Le projet de loi géolocalisation : une initiative législative qui devrait retenir notre attention

Aujourd’hui, ce 11 février 2014 a lieu « The day we fight back », une initiative populaire visant à démontrer le soutien de l’opinion publique, américaine mais pas uniquement, contre la surveillance de masse opérée par la NSA. En parallèle, à l’Assemblée Nationale se votera à 15h le projet de loi géolocalisation, relative à la géolocalisation des objets dans le cadre d’une enquête pour des infractions dont la peine d’emprisonnement est supérieure ou égale à trois ans.  A plusieurs titres, ce projet de loi est dangereux et attentatoires à nos libertés.

Un contexte ambigu

Si vous vous souvenez bien, en automne dernier, la Cour de cassation, par deux arrêts avait énoncé que l’état actuel de notre législation n’était pas conforme aux dispositions de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Prenant acte de cette non-conformité, les dispositions législatives devaient être corrigées. Entre-temps, le projet de loi de programmation militaire est arrivé sur la table, avec une mobilisation assez tardive. Je ne reviens pas sur la LPM mais on se rappelle qu’un certain nombre de dispositions devaient être précisées ultérieurement et c’est notamment à cela que sert le projet de loi géolocalisation. Or, on a bien vu que la loi de programmation militaire avait soulevé de vastes débats et des oppositions. Au lieu de revoir intégralement sa copie, nos législateurs enfoncent le clou tout en pointant du doigt les services gouvernementaux américains qui espionnent. Curieux et assez paradoxal. Soulignons au passage que la CNIL, qui est quand même vaguement concernée, n’a toujours pas rendu son avis et ne devrait le faire qu’aux alentours de midi, soit trois heures avant le vote.

Une mesure d’enquête non-proportionnée

Depuis les attentats du 11 septembre et l’avènement du Patriot Act qui n’a pas impacté que les Américains, on nous a appris qu’il existait un régime de droit commun, pour les impétrants lambda et un régime spécial, pour les terroristes et autres menaces pour l’intégrité de la Nation. Je ne dis pas que si le projet de loi géolocalisation avait été circonscrit aux seules infractions relatives au terrorisme, j’aurais été d’accord mais j’aurais pu comprendre les motivations. Dans le projet de loi géolocalisation, il est clairement énoncé que sont concernées les infractions punies de trois ans d’emprisonnement ou plus, ce qui concerne environ 50% des infractions détaillées dans le code pénal et le code de procédure pénale.  A un moment des débats, il était question de réserver cette faculté aux infractions punies d’une durée d’emprisonnement de cinq ans et plus et relatives aux menaces quant à l’intégrité physique des personnes. Ces dispositions ont sauté, laissant le seul critère des trois ans. Eu égard à la violation des libertés fondamentales qui sont en jeu, en particulier la vie privée, la liberté d’aller et venir ou encore la liberté d’expression, cette mesure est parfaitement disproportionnée. Par ailleurs, ainsi rédigé, le texte prévoit que la décision de mettre un individu sous dispositif de géolocalisation appartient au juge des libertés et de la détention mais que sa décision n’est susceptible d’aucun recours.

Une mesure qui va être coûteuse

Ne nous voilons pas la face : que ce soit des missions de surveillance classique ou de surveillance électronique, des moyens devront être alloués aux services de police et de gendarmerie. Moyens dont tout le monde sait qu’ils ne disposent pas à l’heure actuelle. Or, les dispositifs de surveillance électronique demandent des moyens non seulement techniques mais aussi humains et financiers, qu’il va falloir trouver quelque part. De la même manière : où vont être stockées les données collectées ? Par qui ? Selon quelles règles ?

Un gadget à l’action non circonscrite

Si vous lisez attentivement le texte, vous voyez la chose suivante « tout moyen technique destiné à la localisation en temps réel, sur l’ensemble du territoire national, d’une personne à l’insu de celle-ci, d’un véhicule ou de tout autre objet ». Vous l’aurez compris, c’est le mot objet qui pose problème. A l’heure où nous parlons de plus en plus d’objets connectés, que ce soit les montres, les frigos, les télévisions mais aussi les médicaments, la plupart des outils de notre quotidien peuvent faire l’objet d’une interception de données par des services de police, sans que cela soit circonscrit à un objet prédéfini ni à une personne prédéterminée. Or, la loi pénale doit être précise. Le principe même de sécurité juridique veut que la loi soit la plus claire possible pour éviter toute ambiguïté et interprétation personnelle.

Avec ce projet, les services de police pourront savoir ce que fait un individu en temps réel, sans pour autant que sa culpabilité ni même son implication dans une infraction ne soit réellement démontrée.

Une mesure qui sera inefficace

Outre les différents brouilleurs d’ondes qui existent tranquillement sur le marché et qui permettent – vous l’avez compris – de brouiller les signaux, par exemple GSM, cette loi sera inefficace pour contrer la véritable criminalité. S’il est communément admis que les terroristes ont pu, à une époque, utiliser le Web pour préparer leurs attentats, aujourd’hui, à l’heure de l’hyper-connectivité, le type qui veut faire un attentat n’utilisera pas Internet, ni le Web, ni de téléphone portable, ni de voiture, ni de pass Navigo. On arrivera toujours à choper un débile qui fait l’idiot sur les réseaux sociaux mais ça sera un idiot.

On avait bataillé contre une loi du même genre à un moment : la LOPPSI. D’une certaine façon, ce texte revient sur le devant de la scène car le projet de loi géolocalisation se propose de mettre sur écoute, une bonne partie de la population française.  

Nous avons jusqu'à 15h pour convaincre nos députés de voter contre ce projet alors vous savez ce qu'il vous reste à faire. 

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