Les premières incohérences de la taxe tous écrans

Vous l’avez certainement vu passer, notre chère Ministre de la Culture réfléchit à étendre la taxe audiovisuelle à tous les écrans : ordinateurs, portable ou fixe, smartphones, tablettes et même liseuses. Raison invoquée : de plus en plus de personnes accèdent aux programmes télévisés depuis des appareils autres que la télévision mais ne s’acquittent pas de la taxe audiovisuelle puisqu’ils ne possèdent pas de télévision, la taxe étant liée à la possession de l’appareil.

 Si Moscovici avait renvoyé dans ses buts Mme Filippetti, cela ne l’a pas empêché de revenir à la charge un mois plus tard. Qu’on se rassure : cette idée n’est pas de son cru mais du rapport Pierre Lescure. En Suède, cette taxe existe déjà depuis le début de l’année 2013 et les premières incohérences se font déjà sentir avec l’histoire assez ubuesque de cet administré, que rapporte le webzine idge.se.

Dans la cadre de sa mission, qui s’effectue en partie en télétravail, un salarié s’est vu remettre un ordinateur portable par son employeur. Il a eu la mauvaise surprise de recevoir un coup de fil de l’administration en charge de la taxe audiovisuelle, lui expliquant qu’il devait être identité comme possesseur d’un ordinateur et donc comme éligible au payement de cette taxe. Ne possédant ni télévision ni ordinateur personnel, cette personne a refusé de s‘acquitter du paiement de cette somme. L’administration lui a donc envoyé un courrier, énonçant qu’ils n’avaient pas compétence pour se prononcer sur la qualité de possesseur et donc d’éligibilité à la taxe et renvoie au tribunal administratif.

La réponse du tribunal administratif est assez délicieuse car, en substance, il souligne que même si le salarié n’est pas propriétaire de l’ordinateur, il en est le possesseur de la machine et qu’il est titulaire d’un accès à Internet, il est redevable de la taxe.

En ce sens, le texte – et le tribunal – lient l’éligibilité de la taxe, non pas à la propriété d’un ordinateur, mais à la possession, ce qui n’est absolument pas la même chose, mais également à l’existence d’un accès domestique à Internet.  

Sur le plan technique, il en découle que l’on en revient à l’Internet de la fin des années 90, avec un débit limité, puisqu’en fonction de votre utilisation, on peut déterminer si vous regardez des contenus culturels numériques. Sans vouloir absolument donner dans la métaphore autoroutière, cela fait penser à un Internet à péage.

Sur le plan du droit du travail, les conséquences sont encore plus dommageables puisque le tribunal administratif de Luleå énonce sobrement que c’est le salarié qui est redevable de la taxe et qu’il lui revient de la payer, même si son employeur s’est déjà acquitté de cette taxe. Or, comme le salarié effectue sa mission en télétravail, cela revient à le sanctionner parce que son employeur a mis en place des dispositions plus pratiques pour l’exécution de sa mission. Si le salarié refuse de s’acquitter de cette taxe, il devra renoncer – en substance – au télétravail. Là où la situation devient encore plus ubuesque, c’est que dans l’hypothèse où le salarié est en télétravail et qu’il effectue sa mission avec du matériel fourni par son entreprise, comme cela est la règle, la taxe sur ce même matériel est payée deux fois : une fois par le salarié parce qu’il est possesseur et une fois par l’entreprise parce qu’elle est propriétaire.  

On l’aura compris : les litiges vont clairement s’accroitre en Suède sur cette question et l’un des problèmes soulevés par cette affaire, est la question du déplacement de l’élément matériel déterminant l’acquittement de la taxe. Dans notre exemple, c’est la présence de l’accès à Internet au sein du foyer qui a servi à déterminer cet assujettissement.

Si la France se décide à mettre en place des mesures similaires, il y a fort à parier que les litiges vont être massifs car il y a matière à contentieux, à la fois civil, administratif et fiscal. Ce sera d’autant plus explosif que cela pourrait être perçu comme une forme de licence globale sans pour autant conférer les droits inhérents à la licence globale.

Enfin, et cela risque de faire plaisir à l’ANSSI, cela risque de freiner le développement du BYOD. En effet, on avait déjà évoqué le fait que Bring Your Own Device faisait son entrée dans le monde du travail Français, de manière à accroître la productivité des salariés. Sauf que si les dits salariés Français, déjà bien taxés, se retrouvent à devoir payer une taxe pour travailler, m’est d’avis qu’ils vont vite renoncer. L’ANSSI en a rêvé, la Suède l’a fait. Je veux voir la tête des sysadmin et autres techniciens soumis à astreintes quand on va leur expliquer qu’ils vont devoir payer pour travailler.  

Affaire à suivre. 

Commentaires

Déjà, cette taxe sur les écrans, je trouvais ça encore plus ridicule que la taxe sur les supports numériques. "Potentiellement, tu peux t'en servir pour faire ça donc tu payes".
Mais le cas de la Suède est complètement énorme, et c'est le genre d'aberrations que ne prennent jamais en compte nos politiciens. Il faudra après remplir des dossiers énormes, qui reviendront bien plus cher que la taxe payée, pour se faire rembourser.

Bref, ça nous promet du joli !

Non, c'est justement l'astuce du machin : il ne semble pas y avoir de possibilité pour te faire rembourser un paiement injustifié de cette taxe. 

Quid des gens qui, comme moi, payent une offre triple play, mais dont la qualité de ligne ADSL ne permet pas la réception TV (je n'ai même pas le décodeur télé) ?

Tu as un ordinateur & un accès Internet ? Eligible à la taxe. 

Reste plus q'à l'étendre à toute l'europe et hop, fini la crise... ou pas.

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