Rapport Lescure : Synthèse

Le 13 mai 2013 a enfin été rendu public le rapport de la mission Lescure, concernant l’acte II de l’exception culturelle, dans laquelle il était notamment question de l’Hadopi, de la chronologie des médias, de l’exception culturelle Française.

Ceci est une synthèse, qui ne se veut pas nécessairement objective.

Tout d’abord, il convient de constater que l’ensemble du rapport parle d’offre culturelle, de rémunération, de financement et que, de ce fait, le terme de culture n’est pas le plus approprié. Nous sommes plus en présence de marchands de divertissement que de culture.

La première partie commence par une allégation péremptoire que les auteurs contredisent quelques lignes plus loin : l’offre légale serait abondante, diversifiée et abordable. Je ne sais pas de quel point de vue se place la mission Lescure mais quand je vois les difficultés à obtenir en ligne, de façon légale, des reportages et des documentaires, j’avoue ne pas être spécialement du même avis que la mission. Elle pointe néanmoins les prix trop élevés sans pour autant proposer d’alternatives ni de solutions. Tout au plus énonce-t-elle le fait que l’offre légale subit la concurrence déloyale des offres dites illicites. Elle souligne également que l’Etat doit soutenir l’offre culturelle légale, par des mesures législatives, réglementaires, financières et régulatrices. Pour ceux qui n’ont pas pris langue de bois en LV2 au lycée, cela veut clairement dire que l’Etat nourricier doit continuer à s’occuper des questions de divertissement.

Sur la question du dynamisme de l’offre, la mission se propose de promouvoir l’exploitation numérique tout en ajoutant que cela revient cher et que la numérisation de certaines œuvres doit passer par une sorte d’étape préliminaire, qui consisterait à faire la balance entre la dépense et le bénéfice réalisé.  Vous l’avez compris : l’Etat ne numérisera les œuvres que si elles sont rentables, ce qui peut être analysé comme une forme de rupture d’égalité, d’autant que le rapport souligne clairement que cette balance ne va concerner que les œuvres du patrimoine, par exemple, les premiers films, les reportages rares ainsi que les livres.

Dans la même partie, la mission Lescure reste passablement tiède sur la chronologie des médias alors que beaucoup d’espérances avaient été placées en elle. La chronologie des médias est un système de régulation visant à favoriser la diffusion des contenus francophones et n’autoriser la diffusion de contenus culturels étrangers – notamment américains – qu’à partir d’un certain délai. Si cette exception, résultante de la Guerre Froide, pouvait avoir une forme de justification au moment de sa création, elle ne semble plus pertinente à l’heure des réseaux. De façon brutale, si les gens n’ont pas accès à leurs séries américaines préférées, ils ne vont pas pour autant se rabattre sur des productions françaises. La seule proposition en la matière est de ramener le délai actuel de 36 mois (soit trois ans) à 18 mois (soit un an et demi). Le rapport se poursuit en énonçant une distorsion de concurrence, qui serait notamment due à l’asymétrie des règles fiscales mais loin d’être révolutionnaire et faisant preuve d’une certaine prudence, le rapport renvoie aux instances communautaires et se propose d’impliquer plus largement les autorités de la concurrence pour estimer si les plateformes d’offres légales ne procèdent pas à une forme de concurrence déloyale. On ne peut que regretter cette proposition qui aura pour effet d’éclater et de segmenter encore plus les tentatives d’offres légales. Pour être clair, si une plateforme d’offre légale se voit vaguement soupçonnée de concurrence déloyale du fait de son (relatif) succès, il y a fort à parier que les preneurs de risques en la matière iront les prendre en dehors de l’Hexagone, laissant ainsi le champ libre à ceux que l’on nomme pourvoyeurs d’offre illégale.

Le rapport poursuit en parlant de régulation d’offre culturelle en ligne, ce qui a de quoi faire bondir. En effet, l’offre légale en ligne est déjà largement régulée, encadrée, réglementée. La nouveauté introduite dans le rapport consisterait à attribuer des aides supplémentaires à un certain nombre d’acteurs pour que ces derniers favorisent l’offre légale. Sauf qu’à y regarder de plus près, elles ne concerneraient que les acteurs déjà importants, les acteurs du divertissement et pour le coup, fausseraient clairement le jeu de la concurrence.   

Les conclusions de la mission poursuivent en abordant la question de l’offre illicite qui serait de meilleure qualité et gratuite. Elles énoncent que l’offre culturelle en ligne est moins chère que l’offre physique. Il aurait fallu inviter les membres de la mission à visiter un magasin pour se rendre compte qu’un bon nombre de DVD sont moins chers en support physique qu’en support numérique, que les versions numériques des livres sont parfois plus chères que leurs versions physiques, frais de livraison inclus. La mission propose une nouvelle réduction de TVA pour les offres culturelles, oubliant probablement que François Hollande a déjà ramené la TVA à un taux inférieur. S’agirait-il de proposer des contenus culturels à un taux de TVA moins élevés que les produits dits de première nécessité ? De la même façon, la proposition concernant une fiscalité allégée est passablement choquante : à quel titre les marchands de divertissement devraient-ils bénéficier d’une fiscalité simplifiée et allégée alors que certains corps de métier – nécessaire à la Nation – n’en bénéficient pas ?

Passons également rapidement sur la question des prêts en bibliothèque qui ne pourraient se développer qu’avec l’aide de DRM – oubliant au passage que les DRM sont une violation du droit des consommateurs – et énonçant plus loin que ces mêmes DRM contribuent à la sécurisation du développement des nouvelles offres. Il est délicieux de constater que cette allégation est introduite dans la partie concernant l’amélioration de l’expérience utilisateur et garantie des droits des usagers.  Notons d’ailleurs le terme usager utilisé qui sous-entendrait que la culture est un service public mais auquel on ne souhaite absolument pas appliquer les principes même du service public. Je renvoie la mission à la lecture de l’excellent ouvrage de M. Valette « Théorie du service public ».

Je me permets également de renvoyer la mission Lescure à ses textes de lois, notamment communautaires, clairement en défaveur des DRM et me permet de rappeler que l’apposition de DRM et autres MTP sont une violation directe de l’exception de copie privée.

La seconde partie s’intéresse à la rémunération des créateurs et au financement de la création. Elle commence par énoncer que des mécanismes de compensation pour le bouleversement de la chaîne de valeur introduite par les nouvelles technologies, doivent être instaurés. On ne saurait que trop rappeler que ces mécanismes existent déjà à travers la taxe sur la copie privée, appliquée aux disques durs, aux ordinateurs, aux CD, DVD, clefs USB.

Mais loin de se laisser démonter par cette incohérence, le rapport insiste lourdement sur la puissance publique et sa force régulatrice qui devrait primer sur le principe de la liberté contractuelle. La mission propose ainsi de confier ce pouvoir au CSA.

La question de la rémunération des auteurs est particulièrement délicieuse car le rapport énonce que ces derniers seraient financièrement lésés avec les livres numériques. Personnellement je connais au moins un éditeur qui verse des droits plus élevés sur les ventes numériques que sur les ventes physiques mais je n’en tirerais pas de conclusions hâtives et générales pour autant.

Le lobby des photographes est également bien entré dans la danse car il est fait mention du fait que les banques d’images sont nuisibles et occasionne des atteintes aux droits des photographes. Je me permets de souligner que les banques d’images achètent et revendent les dits matériaux et qu’il ne s’agit nullement d’un hold-up. J’ai encore en mémoire les tarifs de certaines banques et nous sommes très loin d’une forme de charité.

Si la vidéo et le jeu vidéo sont absent de cette partie, le spectacle vivant y est traité sans que l’on comprenne réellement pourquoi.

S’intéressant à la rémunération pour copie privée, la mission se propose de l’appliquer aux services de cloud computing. Je suis persuadée que tous les hébergeurs Français vont sauter de joie. De la même manière, il serait proposé d’appliquer une taxe à tous les appareils connectés. La mission Lescure aurait peut-être dû se renseigner. En Suède, une taxe appliquée à tous les écrans a été instaurée. Elle est profondément impopulaire et fait peser un impôt que les Suédois estiment injustices sur les particuliers mais aussi les entreprises. Que tout le monde se rassure : les moteurs de recherches ne sont pas oubliés.

En effet, il est proposé de taxer les moteurs de recherches car ils retirent de la valeur à l’indexation et au référencement, une sorte de taxes sur les liens. Sans pour autant se prononcer fermement pour cette idée soumise par des éditeurs de presse, la mission ne ferme absolument pas la porte à des négociations futures sur ce sujet. Je me demande ce qu’en pense Google France.

Le renforcement à la contribution des acteurs numériques au financement de la création est un délice de fantaisie. L’idée serait d’intégrer les acteurs du développement du divertissement numérique au financement du mammouth qu’est le CNC. Je signale au passage que le CNC fait déjà l’objet d’un grand nombre de financement, notamment par les contribuables mais aussi par les FAI. Qu’à cela ne tienne, il est proposé de les impliquer encore plus dans le financement, sous réserve d’accord de l’Union Européenne. On est rassuré et Free également.  Le rapport revient ensuite sur la question de la taxe des appareils connectés sans que l’on comprenne réellement quels équipements seraient directement concernés. Cette partie conclut sur la nécessité d’encadrer juridiquement et fiscalement le financement collaboratif. Voilà qui laisse présager un avenir très sombre pour les projets innovants, notamment les événements autour du hacking, dont certains sont financés par ce biais.

La dernière partie s’intéresse à la protection et à l’adaptation des droits de propriété intellectuelle et on nous ressort cette aberration qu’est la contrefaçon, en y ajoutant un caractère : l’aspect lucratif. Celles et ceux qui ont envie de comprendre les véritables rouages de la véritable contrefaçon sont cordialement invités à lire Dana Thomas.   

Soulignant le caractère ubuesque de la prorpriété intellectuelle française, la mission se propose de participer encore plus à son caractère délirant, notamment sur la question des échnages non-marchands car elle ne le définit par de façon sérieuse. Le rapport poursuit en s’attaquant directement au dispositif de la réponse graduée, en soulignant les faiblesses, ce que tout le monde sait déjà. Mais la mission a oublié un élément essentiel : la réponse graduée n’a jamais eu pour but – dans son application concrète – d’envoyer tous les téléchargeurs de Justin Bieber en prison. Le but est pédagogique et surtout de faire écran contre les SPRD et autres lobbys. En ce sens, la réponse graduée a été efficace puisqu’il n’y a que très peu de condamnations. En est-on arrivé, en France, au point où l’on souhaite mettre la majorité de la population en prison ? Voilà qui ne risque pas d’améliorer notre image à l’internationale, notamment sur le plan des droits de l’Homme.

Comme l’Hadopi est la grande méchante, le rapport propose de transférer cette mission répressive au CSA et donc d’en faire des amendes automatiques. Je sens que ça va beaucoup plaire à l’Union Européene et surtout à la CEDH qui passe son temps à nous condamner pour non-respect des droits de la défense.

Par ailleurs, je trouve parfaitement choquant que la mission Lescure se permette de dire que la mission principale de l’Hadopi est la réponse graduée. Quid de la mission de recherche sur les DRM ? Quid de l’offre légale ? Quid des Labs ? Que nous n’ayons pas eu les résultats escomptés, c’est un fait, les raisons sont diverses. Mais de là à prôner une existence sur un rendement, j’avoue ne pas avoir compris à quel moment les autorités administratives indépendantes devaient être rentables. Aurait-on confondu l’Hadopi avec PSA ? Bravo Monsieur Lescure, je constate que votre visite aux Labs et l’entrevue que nous avions eu a été sans effet. Si j’avais su, j’aurais été au café.

La mission pédagogique autour de l’offre légale serait confiée à l’Education Nationale, c’est du moins ce qui est sous-entendu. Je suis sûre que mes copains enseignants, qui ont déjà du mal à faire entrer dans la tête de leurs élèves, les principes de la grammaire française seront ravis de faire l’apologie de TF1 et consorts.

Et revoilà ma contrefaçon lucrative, sont visés les Zach et autres Kim Dotcom. M. Lescure, soyons sérieux : si vous vouliez VRAIMENT empêcher les plateformes de ce type d’exister, vous l’auriez fait depuis longtemps. Nous ne sommes absolument pas dupes donc merci d’arrêter de ranger ce type de criminalité avec la vraie cybercriminalité, qui fait, elle, de vraies victimes bien humaines.

En poursuivant ma lecture sur cette partie, je me suis également rendue compte que j’avais déjà lu ce type de proposition concernant la mise à disposition et l’implication des acteurs (hébergeurs, moteurs de recherche, régies publicitaires, FAI). Effectivement, je les ai lu dans des notes écrites à l’Hadopi, notamment par la direction juridique mais aussi des Labs et de la cellule de recherche. Curieux de cracher sur une institution tout en lui plagiant une partie de son travail et peu crédible quand on prétend combattre la contrefaçon en ligne.  

Mais comme nous ne sommes plus à cela près, la mission Lescure continue en proposant d’adapter les exceptions au droit d’auteur. Ne serait-ce pas l’objet du chantier exceptions au droit et droits voisins sur lequel l’Hadopi a travaillé environ un an ? Je félicite M Lescure d’avoir obtenu une plus grande participation que nous sur ce sujet. Il est vrai que l’Hadopi manquait de sex-appeal par rapport à un ancien de Canal+.

Les licences libres ont été mises tout ensemble, en vrac, dans une sorte de fourre-tout mais dont le rapport souligne qu’elles sont en contradiction avec les règles de gestion collectives des droits. C’est là où il est flagrant que la mission n’a rien compris au sujet.

Enfin, la mission Lescure a découvert les métadonnées et propose un registre ouvert – sans vraiment définir le terme ouvert – à ces informations.

Que retirer de ce rapport ?

Tout d’abord que neuf mois de travail semblent bien disproportionnés pour un rapport aussi maigre. Par ailleurs, je suis étonnée de la légèreté du bagage juridique et de l’absence de prise en compte des règles communautaires. Enfin, je suis choquée par le mépris affiché envers une autorité administrative indépendante mais il est vrai que la mission est à tu et à toi avec Mme Fillippetti, cela n’est donc pas étonnant.

La bonne nouvelle est la suivante : il ne s’agit que d’un rapport. Si le Gouvernement veut l’appliquer, il devra en faire un projet de loi et dans la mesure où certains points relèvent de la compétence exclusive du Parlement, notamment les règles sur la fiscalité mais aussi sur le droit pénal, il devra faire l’objet de débats parlementaires. Ce sera donc le moment pour les associations de faire entendre leurs voix. Quand bien même le Parlement validerait cette ineptie, le Conseil Constitutionnel pourrait avoir son mot à dire. Enfin, il convient de ne pas oublier que l’Union Européenne aura également son mot à dire sur le sujet.

De la même façon, l'Hadopi ayant été créée par une loi, il faudrait nécessairement une loi pour la défaire. L'Hadopi n'est donc absolument pas morte et enterrée. 

Vous savez ce qui nous reste à faire.

Commentaires

Bon article, mais de grâce, relisez-vous !

Bonjour merci :) 

Oui je vais faire ça très rapidement, je suis allée un peu vite dans ma rédaction :-/

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