Culture du hacking

Projet 2020 : Citoyen Kinuko – Partie 1

*Le projet 2020 est une traduction d’un livre blanc du même nom écrit par Europol.*

Kinuko a 23ans. Elle appartient à la seconde génération de ce que l’on appelle les digital natives. Elle fait une majeure partie de son shopping en ligne mais quand elle se rend dans le centre-ville, c’est en personnalisant le plus possible ses achats. Elle n’a pas besoin de regarder les vitrines : les recommandations basées sur ses précédents achats ou susceptibles de lui plaire ne l’intéressent pas aujourd’hui.

Ce système lui permet de gagner un temps précieux et d’économiser son énergie : elle sait d’avance si ce dont elle pourrait avoir envie est disponible avant d’entrer dans le magasin. Parfois elle se demande si toutes ces recommandations ne la font pas passer à côté de quelque chose.

Bien entendu, il a fallu un petit peu de temps pour que l’expérience de la réalité augmentée soit pleinement fonctionnelle. Il y a dix ans, quand Kinuko a eu son premier smartphone, il était encore très basique : des cartes en 2D des restaurants et quelques commentaires. Mais les lunettes connectées ont fait leur apparition et sont même mieux que les lentilles de contact.

Maintenant Kinuko peut accéder aux informations en 3D juste devant ses yeux et ses lunettes s’adaptent à sa gestuelle. La fonction de discussion instantanée directement implantée sur le verre sera bientôt disponible. Elle n’en voit pas réellement l’utilité mais son petit frère et ses amis n’ont pas l’air de trouver ça délirant.

Son service de recommandation et de contenu (SRC) laisse Kinuko zapper ce qu’elle ne veut pas voir. Le service Premium est cher mais ça vaut le coup, ne serait-ce que pour laisser les filtres agir. Son SRC sait qu’elle n’aime pas aller dans les bars : il lui masque donc les pubs relatives à ces établissements pour y afficher celles relatives à l’art corporel, la course et les projets d’impression en 3D.

Ses contenus sont également envoyés sur les réseaux sociaux sur lesquels elle est inscrite, lui permettant de repérer des amis qui seraient à proximité. Cette fonctionnalité était un peu envahissante mais depuis qu’elle a souscrit au service Premium, elle peut moduler le volume d’information qu’elle souhaite envoyer et recevoir. Elle a essayé le service de base au début mais elle en a rapidement eu marre d’être dérangée en permanence.

Kinuko n’a pas besoin de mémoriser quoique ce soit. Son SRC enregistre et stocke tout ce qu’elle veut. Mais elle apprécie de pouvoir utiliser sa mémoire physique juste au cas où son SRC tomberait en panne, ce qui arrive de temps en temps.

Il y a encore plein de gens autour d’elle qui insistent pour qu’elle découvre le monde sans tous ces objets connectés mais ce sont généralement les vieux, qui étaient plus à l’aise avec les smartphones. Elle a aussi entendu parler de ses seniors qui trouvent particulièrement difficile de filtrer tout ce « bruit blanc » de la réalité augmentée : c’est trop parasitant pour eux. Il y a aussi ces groupes de parents qui font campagne pour que ces objets soient interdits aux enfants de moins de 8ans, clamant qu’ils favorisent les accidents graves chez les enfants.    

Toutes les données de et sur Kinuko sont collectées en temps réel. Elle le sait et elle l’accepte car c’est la contrepartie de tous ces services. Elle a grandi avec les réseaux sociaux donc publier des infos la concernant ne lui pose pas de problème. Paradoxalement, elle appartient aussi à cette part grandissante de la population qui aimerait avoir plus de maîtrise sur ces propres données. C’est aussi pour cela que Kinuko a souscrit au service Premium : il inclue un rapport hebdomadaire sur la façon dont ses datas sont utilisées. C’est devenu important pour elle depuis que son SRC a fait l’acquisition d’une start-up éditrice d’un logiciel de reconnaissance et d’analyse comportementale et psychologique. Kinuko a voulu tracer une frontière entre elle et ces grandes entreprises qui voudraient connaître son état d’esprit, en particulier quand elle est excédée par toutes ces publicités comportementales. Elle a déjà pensé à acheter un de ces brouilleurs, qui chiffrent totalement les messages mais elle n’aime pas l’idée que cela pourrait la rendre coupable d’une infraction.

Selon les termes de son contrat, elle a aussi la possibilité de vendre ses propres informations. Les datas sont devenues un marché gigantesque. Les informations sur les expériences comportementales sont utilisées pour vendre de nouveaux produits et pour cibler encore plus les personnes qui pourraient être intéressées. Mais cela permet également aux machines d’apprendre à être plus humaine. D’ailleurs, Kinuko a entendu dire que, dans quelques temps, des robots capables d’assimiler le comportement humain, à partir des données comportementales, verraient le jour.

Vendre ses datas est quelque chose dont Kinuko n’est capable que depuis peu de temps. Avec tous ces services générant et stockant des informations sur les gens, une indignation populaire est née, réclamant une pleine et entière propriété sur ses propres informations. Devant cette pression populaire, les SRC ont offert aux clients Premium la possibilité d’effacer toutes leurs informations. Conséquence directe : des courtiers en données ont fleuri un peu partout sur la planète.  

Mais il est devenu difficile de différencier les entreprises de bonne foi de celles qui ne le sont pas, en particulier dans certaines régions et il y a une véritable demande de régulation.